Chacun devra faire sa part…
A peine nommé, le gouvernement a « découvert » une situation des finances de l’État « encore plus catastrophique » que prévu. Une surprise, peut-être… Une aubaine, surtout, pour ceux qui rêvent de politiques d’austérité et de destruction des services publics. Alors, Michel Barnier, le Premier ministre éjectable l’a déclaré : « Il va falloir faire des efforts, et chacun devra faire sa part ». Vraiment ?
La première cible de tous les néolibéraux, c’est la « dépense publique », par nature « improductive », à laquelle il faut impérativement s’attaquer, encore et toujours, pour laisser la place à la seule dépense qui vaille, celle qui résulte de l’initiative privée. Alors le budget présenté par le gouvernement pour 2025 prévoit 40 milliards d’euros d’économies dans le budget de l’État, des collectivités locales et de la Sécurité sociale.
« L’État doit montrer l’exemple ». Il fera donc « sa part »… En fait, celle des services publics et des différentes politiques publiques.
– L’éducation nationale : avec la suppression annoncée de 4 300 postes, ce sont les élèves, les enseignants, les étudiants, les chercheurs qui feront « leur part » des efforts.
– Le système de santé, déjà tellement maltraité depuis des années : avec la poursuite de la réduction des crédits affectés aux hôpitaux publics, ce sera « la part » des médecins, infirmières et autres personnels hospitaliers, et surtout des patients. Certains mourront faute de personnel et de lits en nombre suffisant aux urgences ou pendant le trajet vers des hôpitaux de plus en plus éloignés.
– La transition écologique, comme l’a déclaré en substance la ministre Agnès Pannier-Runacher : « J’assume la diminution des crédits de mon ministère, je ferai ma part en participant à l’effort nécessaire ». Sa part ? Ce ne sera pas une diminution de ses indemnités ministérielles, mais un coup de frein à la lutte – déjà dérisoire par rapport aux enjeux – contre le dérèglement climatique, la pollution et la dégradation de l’environnement. Ce sera notre part à tous et celle des générations futures.
– Mais aussi la justice, pourtant bien malmenée elle aussi, l’administrations fiscale, les organismes de contrôle des fraudes ou des réglementations sociales, environnementales, du travail, etc.
Les collectivités locales, déjà exsangues, sont « invitées » – de force – à faire « leur part » en percevant 5 milliards d’euros en moins. Elles pourront ainsi participer à l’effort général, par exemple en coupant dans les budgets des établissements sociaux et médico-sociaux, des services sociaux, de protection de l’enfance ou des personnes handicapées, en un mot des personnes les plus vulnérables.
Enfin, la Sécurité sociale fera également « sa part ».
– Les honoraires des médecins ne seront plus remboursés qu’à 60 % au lieu de 70 %, soit 1,5 milliard d’euros d’économies pour la Sécurité sociale, mais autant de dépenses – donc de cotisations – supplémentaires pour les mutuelles. Ce sera « la part » des assurés sociaux. Du moins de ceux qui peuvent se payer une mutuelle. Les autres seront encore plus nombreux à devoir s’en priver et à renoncer encore plus souvent aux soins.
– La revalorisation des pensions de retraite sera reportée de 6 mois, soit un gain de 3,6 milliards d’euros… « la part » des retraités.
– Une refonte des allègements de cotisations patronales, qui profitent principalement aux grandes entreprises sans effets avérés sur les créations d’emplois, permettrait d’économiser 4 à 5 milliards d’euros : un premier petit pas vers une mesure de justice… mais qui a été rejetée par toute la droite, des macronistes au RN.
En complément des 40 milliards d’euros d’économies, le projet de budget du gouvernement prévoit 20 milliards d’euros de fiscalité supplémentaire, ciblant principalement, nous dit-on, « les grandes entreprises et les ménages les plus fortunés ». Qu’en est-il ?
– L’augmentation prévue de la taxe sur l’électricité, dont le gouvernement espère 3 milliards d’euros, ne toucherait pas particulièrement les ménages les plus fortunés, mais la totalité des abonnés.– Une contribution exceptionnelle et temporaire, pendant deux ans, sur les bénéfices des grandes entreprises – dont le chiffre d’affaires est supérieur à 1 milliard d’euros – devrait rapporter environ 8 milliards d’euros en 2025, par le biais d’une augmentation d’au moins 20 % du taux de l’impôt sur les sociétés.
– Une surtaxe exceptionnelle et temporaire, limitée à trois ans, sur les revenus des particuliers supérieurs à 250 000 € annuels – soit 20 833 €/mois – devrait rapporter environ 2 milliards d’euros en 2025.
– Alors que Macron avait promis de supprimer la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) – un nouveau cadeau fiscal qui aurait profité essentiellement aux grandes entreprises –, le projet de budget du gouvernement repousse de trois ans la suppression de cet impôt, générant une recette supplémentaire de 1,1 milliard d’euros en 2025.
Quand on sait que les actionnaires du CAC40, à eux seuls, ont perçu 67 milliards d’euros de dividendes en 2023 et que, selon le syndicat Solidaires Finances Publiques, la fraude et l’évasion fiscales sont estimées entre 80 et 100 milliards d’euros par an, on peut l’affirmer : le compte n’y est pas, et « l’effort » de ceux qui devraient faire la plus grosse part sera bien léger au regard de leurs possibilités.
Quoi qu’il en soit, rien de tout cela n’est définitif. À l’heure où cet article est écrit, le débat sur la partie recettes du budget est en cours à l’Assemblée nationale, et le texte évolue d’une heure à l’autre. D’ores et déjà, à l’instar de la refonte des allègements de cotisations patronales, des dispositions majeures sont rejetées ou modifiées en profondeur, y compris par des groupes qui, en principe, soutiennent le gouvernement.
– La hausse de la taxe sur l’électricité a été rejetée par une majorité des députés.
– L’ensemble de la droite et de l’extrême droite, des macronistes au RN, a rejeté l’article instaurant la contribution exceptionnelle sur les grandes entreprises, après l’adoption d’un amendement de la gauche qui en augmentait le taux.
– L’assemblée a adopté un amendement pérennisant la surtaxe sur les revenus des ménages les plus fortunés, que le gouvernement voulait limiter à trois ans.
– Alors que le projet de budget ne faisait que repousser de trois ans la suppression de la CVAE, les députés en ont décidé autrement en adoptant un amendement qui, au contraire, la rétablit progressivement.
– Ils ont également voté un impôt de 2 % sur le patrimoine des contribuables les plus riches, soit 147 personnes.
On le voit, le texte issu de ces premiers débats n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’il était à l’origine. Et les députés vont ensuite débattre de la partie dépenses du budget, avant que l’ensemble soit soumis au Sénat… À moins que le premier ministre ne dégaine le 49.3 – ce qu’il peut faire à tout instant – et n’arrête un budget à sa convenance. Il n’est pas exclu alors qu’une motion de censure renverse le gouvernement si le RN, dont le soutien est déterminant mais conditionnel, le décide.